Il faut replacer l’ensemble de ce processus qui mêle contrôle et auto-contrôle dans le cadre des nouvelles articulations de la société capitalisée. Ce qu’il faut mettre à jour, c’est cette nouvelle articulation entre la politique, le social et le juridique avec très souvent une réduction du politique au juridique que ce soit dans le cadre de l’état d’exception comme dans l’Italie des « années de plomb », les États-Unis du Patriot Act et de la prison de Guantánamo, la France de l’après 11 novembre 2015 ou dans le cadre du néo-libéralisme qui, dans sa dimension politique réduit la lutte pour l’égalité à une lutte contre les discriminations et pour l’équité. Articulation aussi entre socialisation et domination, articulation enfin entre local et global puisque dans ce dernier cas de figure, l’État n’est pas perçu comme l’instrument de cette articulation quand il s’exprime et intervient sous sa forme réseau dans la mesure où ses interventions apparaissent moins visibles qu’auparavant.
Plus concrètement, au niveau national, cette réorganisation apparaît comme une perte de compétence de l’État alors que son rapport à l’émergence concomitante de nouvelles entités territoriales constitue dorénavant un agencement spécifique censé produire un alliage entre les différents niveaux d’intervention, du plus proche au plus éloigné, du plus petit au plus grand. Nous avons un exemple de cette stratégie avec la création de la « grande région » censée être mieux en phase avec l’intégration européenne. En effet, elle rendrait compte de l’interdépendance entre niveau II (le niveau national du marché et des anciens États nation) et niveau I (le niveau mondial du capitalisme du sommet). Mais c’est aussi tout le territoire national qui fait l’objet de cette restructuration. Ainsi le projet vise à rendre sa ruralité au département (articulation niveau II/niveau III (le local et ses marges, ses activités informelles), mais par contre à en détacher sa métropole, figure issue d’une nouvelle perspective urbaine (articulation niveau II/niveau I).
Dans cette perspective, L’État est censé faire de la place aux régions sans sacrifier les départements en les protégeant de la domination des métropoles. L’interdépendance des niveaux serait ainsi assurée en gommant autant que faire se peut les rapports de pouvoir au niveau géopolitique.
Cette construction reste très idéologique. La dynamique actuelle du capitalisme du sommet (le niveau I), c’est de déterritorialiser dans sa recherche de fluidité, quitte à ce que le politico-administra
Les réponses ne seront pas les mêmes suivant le niveau de souveraineté déployé à cette échelle. L’Europe n’est pas encore une puissance politique capable de faire siennes la nature mondiale du capital et sa tendance au nomadisme. Or c’est ce nomadisme qui l’emporte au niveau du capitalisme du sommet. Les flux l’emportent sur les immobilisations, la capitalisation sur l’accumulation. Et l’absence d’une puissance politique européenne entraîne la désunion des États et des conflits entre type de souveraineté exercée et donc type d’accrochage au cycle européen d’abord et au cycle mondial ensuite. Des chocs se produisent alors au sein de chaque État entre d’un côté la prise en compte des intérêts généraux capitalistes de niveau I et de l’autre, des considérations nationales liées au niveau II (cf. le récent cas Alsthom pour la France) ; et entre États, comme le montrent les dernières directives de la Communauté européenne contre Apple visant à faire payer des impôts aux sociétés là où elles réalisent leurs profits et non là où elles ont leurs sièges sociaux. L’Irlande, qui, tout en étant dans la Communauté européenne, se rêve en territoire hors sol, s’apprêterait à faire appel de cette mesure !
Il en résulte que la conflictualité augmente au niveau du capitalisme du sommet. L’état de capitalisme sauvage n’étant plus tolérable quand la compétition et la concurrence viennent buter sur les interdépendances (mondialisation et globalisation, division internationale du travail de plus en plus fine et complexe), il s’avère nécessaire d’aboutir à un minimum d’ordre et à des régulations stabilisantes. D’où la prolifération des Gx, des sommets sur le climat et le développement durable, l’énergie, etc. La « lutte » contre les paradis fiscaux nous en fournit un autre exemple. Ces grandes manœuvres ne touchent pas que la sphère économique. En effet, contrairement à la vulgate actuelle qui est de dire que le problème vient de l’autonomisation dominatrice d’une économie désencastrée du social et du politique comme le pensait K. Polanyi dans La grande transformation, dans le procès de totalisation et d’unification du capital, chaque sphère tend vers l’inhérence avec les autres. « L’humanitaire » (tribunaux internationaux de justice, conférences et aides pour les réfugiés) imprègne le politique (abolition des barrières de toutes sortes à la circulation des personnes quand les migrants deviennent massivement des réfugiés), qui imprègne aussi l’économie avec une arrivée massive de force de travail potentielle.